La désinformation est un phénomène omniprésent qui affecte tous les acteurs de la société, qu’ils soient citoyens, dirigeants d’entreprises ou responsables politiques. Elle s’est imposée comme une problématique majeure dans les débats publics, particulièrement depuis les récents conflits internationaux, où elle s’est révélée comme un enjeu central des luttes informationnelles et d’influence, souvent rapprochée des stratégies de propagande traditionnelles.
La désinformation à l’ère des nouvelles conflictualités cyber-hybrides
Les conflits contemporains dépassent désormais les seuls affrontements traditionnels sur terre, mer, air ou dans l’espace. Le cyberespace est aujourd’hui reconnu comme le cinquième domaine de conflictualité, où les luttes prennent une dimension hybride et technologique. Ce nouvel espace amplifie et industrialise les anciennes méthodes de guerre informationnelle, en les rendant plus massives et rapides.
Une caractéristique essentielle de cette nouvelle conflictualité réside dans la dualité des technologies modernes, notamment les intelligences artificielles génératives, les réseaux sociaux et les outils numériques. Ces technologies jouent un double rôle : elles facilitent des usages civils courants tels que la communication, la productivité ou l’accès à l’information, mais elles peuvent tout autant être détournées à des fins militaires et stratégiques.
Cette dualité permet l’utilisation des mêmes outils pour mener des campagnes de désinformation, déstabiliser des adversaires ou influencer les opinions publiques.
Par exemple, la création de deepfakes — des vidéos truquées particulièrement sophistiquées — est aujourd’hui accessible à moindre coût, ce qui étend largement la capacité de manipulation de l’information ainsi que le spectre des acteurs potentiels. Cette démocratisation des moyens de falsification renforce le risque de guerre cognitive, où l’objectif est de façonner la réalité perçue plutôt que de combattre directement sur le terrain.
Le facteur vitesse joue également un rôle crucial dans ce nouveau contexte. La rapidité avec laquelle une information est captée, manipulée ou diffusée constitue un avantage stratégique majeur. Dans un environnement caractérisé par l’hypervitesse technologique, maîtriser l’information en temps réel peut redistribuer les cartes du pouvoir et de l’influence, modifiant profondément la dynamique des conflits contemporains.
La dualité technologique et ses implications pour les citoyens et les entreprises
Les technologies duales, telles que les réseaux sociaux, jouent un rôle central dans nos vies quotidiennes, autant du point de vue personnel que professionnel. Elles sont d’une part des outils essentiels pour l’échange, la socialisation et l’accès à l’information, mais elles se transforment également en terrains de guerre informationnelle. Sur ces plateformes, des campagnes coordonnées peuvent viser à attaquer la réputation d’individus ou d’organisations, semer la confusion, ou manipuler les opinions publiques.
Un exemple marquant est celui de l’utilisation de TikTok lors des élections en Roumanie, où une campagne de désinformation organisée a contribué à influencer les résultats électoraux, entraînant l’invalidation du premier tour. Cette situation met en lumière plusieurs défis démocratiques majeurs : comment établir la responsabilité des plateformes numériques, distinguer l’impact des algorithmes d’une part, et la volonté libre des électeurs d’autre part, ou encore comment réguler un espace privé qui s’impose de facto comme un espace public.
Par ailleurs, il est important de rester vigilant face à la confiance excessive accordée aux intelligences artificielles génératives, comme ChatGPT. Bien qu’elles soient très performantes pour synthétiser et générer du contenu, la fiabilité des informations produites n’est pas garantie, car ces IA se basent sur des données préexistantes dont la véracité n’est pas toujours contrôlée. Ces limites rendent la vérification humaine indispensable face aux contenus générés automatiquement.
Les acteurs de la désinformation et du cyberespace
Le cyberespace constitue un terrain de conflit complexe où se confrontent divers acteurs aux motivations et stratégies variées. Parmi eux, les États et leurs services de renseignement jouent un rôle majeur en développant des stratégies d’influence et de contrôle de l’information. Par exemple, la Russie via son RuNet ou la Chine avec son écosystème numérique fermé illustrent comment des puissances étatiques cherchent à maîtriser les flux d’informations pour renforcer leur souveraineté et leur influence.
Parallèlement, les groupes cybercriminels interviennent souvent avec des objectifs lucratifs, mais certains s’alignent aussi avec des causes géopolitiques, prenant part aux tensions internationales en soutenant des acteurs ou des campagnes spécifiques, comme cela a pu être observé entre l’Ukraine, la Russie ou l’Iran.
Les géants technologiques, tels que Google, Amazon, TikTok ou Twitter (devenu X), occupent une position ambivalente. En tant que plateformes d’information majeures, ils deviennent des espaces où se jouent d’importantes batailles idéologiques et politiques. Certains propriétaires ou dirigeants privés, comme Elon Musk avec Twitter/X, influencent directement le débat public en modifiant des algorithmes pour favoriser certains discours, ce qui soulève des questions sur la neutralité et le rôle démocratique de ces plateformes.
Cette hybridation des rôles, mêlant acteurs civils, commerciaux, criminels et étatiques, rend la gouvernance du cyberespace particulièrement complexe, posant de sérieux défis en matière de régulation et de contrôle des flux informationnels.
Les enjeux pour les entreprises : cibles prioritaires des attaques cyber et informationnelles
Les entreprises, notamment celles qui forment le cœur du tissu industriel et économique national, sont devenues des cibles privilégiées dans les conflits hybrides actuels. Elles incarnent souvent la cohésion et la résilience d’un pays, parfois même davantage que certaines structures politiques, ce qui en fait des acteurs stratégiques à protéger.
Les attaques contre ces entreprises se manifestent sous diverses formes.
- D’une part, les cyberattaques techniques, telles que les attaques par déni de service (DDoS), visent à saturer les serveurs et à paralyser les services en ligne, générant ainsi des pertes économiques significatives.
- D’autre part, des campagnes de désinformation exploitent ces incidents techniques pour diffuser des récits de vulnérabilité, sapant la confiance du public et des partenaires dans les institutions et acteurs économiques concernés.
La frontière entre cyberattaque technique et guerre de l’information étant souvent floue, la cybersécurité doit être abordée comme un enjeu stratégique global. Cela nécessite une approche intégrée qui combine la sécurité informatique, la veille sur la réputation et la sensibilisation des collaborateurs pour renforcer la résilience face à ces menaces complémentaires.
Souveraineté technologique et enjeux stratégiques pour la France et l’Europe
La souveraineté technologique est un enjeu fondamental dans le contexte actuel des conflits cyber et informationnels. Elle dépasse la simple production de technologies pour englober la maîtrise des infrastructures, des données et des réseaux essentiels à la sécurité et à l’autonomie d’un pays.
Certaines régions, comme la Bretagne et sa métropole Rennes, représentent des pôles d’excellence dans le domaine du cyber, avec des écosystèmes dynamiques qu’il est crucial de préserver et de renforcer. Ces atouts stratégiques contribuent à renforcer la résilience numérique nationale face aux menaces extérieures.
La dépendance vis-à-vis des technologies dominantes américaines ou chinoises pose un grave problème de souveraineté, car un allié puissant peut, en cas de divergence d’intérêts, devenir une source de vulnérabilité majeure. Cette situation souligne la nécessité de développer des alternatives technologiques locales ou européennes.
L’Union européenne, par le biais d’initiatives telles que le Digital Services Act, cherche à mettre en place un cadre réglementaire pour encadrer les géants du numérique et protéger les intérêts des citoyens et des États. Néanmoins, la lenteur des processus institutionnels peine à suivre le rythme effréné des évolutions technologiques, ce qui constitue un défi supplémentaire dans la préservation de la souveraineté technologique.
La désinformation, un enjeu systémique et collectif
La désinformation constitue un enjeu systémique et global qui dépasse largement un problème ponctuel ou isolé. Elle s’inscrit dans le cadre plus large des conflits cyber-hybrides, mobilisant l’ensemble de la société : citoyens, entreprises et institutions.
Face à ces défis, il est essentiel de développer une conscience collective et individuelle fondée sur la vigilance, la responsabilisation et la résilience. Chaque utilisateur des outils numériques a un rôle crucial à jouer, presque comme un acteur engagé dans cette bataille informationnelle. De même, les acteurs économiques doivent intégrer cette dimension dans leurs stratégies de défense pour renforcer leur sécurité et leur crédibilité.
Ce constat met en lumière l’interdépendance croissante entre technologie, politique, économie et société dans la lutte contre la désinformation et dans la construction d’une souveraineté numérique solide et durable.
